by Rajaa Mekouar, Head of Private Equity for Paperjam.
(Photo: Patricia Pitsch/Maison Moderne)
Évidemment impactée par la crise du Covid-19, l’industrie du private equity peut toutefois capitaliser sur le succès qu’elle a rencontré ces dernières années pour poursuivre son essor. Son rôle de bailleur de fonds pour les entreprises qui cherchent des financements pour relever la tête en ces temps de crise sera crucial.
La crise du Covid-19 a certes ralenti le rythme soutenu des investissements du secteur du private equity, en progression constante depuis plus de 10 ans, en particulier au Luxembourg. Mais l’industrie résiste bien, comme le démontrent les résultats publiés par les géants du secteur cotés en bourse, comme Blackstone. Pour Rajaa Mekouar, qui vient de quitter son poste de CEO de la LPEA (Luxembourg Private Equity and Venture Capital Association), plusieurs facteurs expliquent la bonne tenue, au cours des dernières années, de ce type d’investissements. «Il faut d’abord mentionner des facteurs macroéconomiques. Depuis la crise de 2008, les marchés sont très volatils et les taux d’intérêt sont très peu élevés. Cela rend la dette moins chère, mais cela pousse aussi les rendements vers le bas. Les acteurs du private equity s’en sont bien sortis dans ce contexte, de par la nature même de leur industrie. Les investissements en private equity s’inscrivent en effet sur le long terme et sont ainsi à même de générer des rendements plus stables. Cela a attiré les investisseurs et, notamment, de plus en plus de family offices et de banques privées.»
La force de frappe du Luxembourg
Ce constat est global, mais le Luxembourg a particulièrement bien tiré son épingle du jeu. Pourquoi? «De nouvelles directives comme AIFMD ou MiFID II ont été mises en place au niveau européen pour réglementer l’accès aux investissements. Au Luxembourg, toutes les compétences pour s’adapter rapidement à ces nouvelles règles se sont rapidement développées, grâce à une collaboration gagnante entre les autorités publiques et les experts du secteur privé. Ce travail commun est assez unique en Europe, estime Rajaa Mekouar. Encore une fois, la réactivité et la flexibilité du Luxembourg ont fait la différence.»
Le Luxembourg a également profité des avancées technologiques sur lesquelles le pays a misé il y a quelques années, notamment les regtech et fintech. «Mais ce n’est pas là le seul atout du pays. Notre situation au cœur de l’Europe, notre esprit ‘business minded’ international et notre capacité d’adaptation aux crises expliquent aussi la croissance particulièrement forte du private equity au Luxembourg», complète Rajaa Mekouar.
Impact et opportunités de la crise
Ces raisons expliquent le fait que, malgré son impact réel, la crise du Covid-19 devrait pouvoir être surmontée par l’industrie du private equity. «Le deal making a été ralenti, et des secteurs comme l’horeca ou le retail, par exemple, ont été très touchés. Mais tout ce qui touche à la santé, à l’alimentaire ou encore aux technologies facilitant le ‘remote everything’ constitue de grands gagnants, en private equity tout comme sur les marchés boursiers. Ainsi, le fundraising n’a baissé que de 4% sur les six premiers mois de l’année par rapport à 2019. Comme le private equity a levé beaucoup d’argent frais au cours des dernières années, de nombreuses entreprises en difficulté pourront être aidées grâce à ces capitaux, si tant est que leurs modèles d’affaires soient suffisamment résilients. Il est donc possible que le private equity réalise ses meilleures performances au cours des années qui suivront cette crise, comme cela a été le cas pour les ‘vintages’ 2009-2011, suite à la crise financière de 2007-2008. Des opportunités historiques s’offrent au secteur», croit Rajaa Mekouar.
Pour capitaliser sur ces nouvelles opportunités, il faudra toutefois relever certains défis. Pour le Luxembourg, le plus important est sans doute d’attirer suffisamment de compétences humaines. Comme le rappelle Rajaa Mekouar, le lancement de la LPEA Academy, désormais dirigée par Stephane Pesch, destinée à développer les compétences de jeunes et moins jeunes talents afin de les aider à mieux comprendre l’industrie, a justement pour but de pousser plus de profils à se lancer dans le domaine du private equity. Le rôle des femmes est aussi à renforcer, selon Rajaa Mekouar, car il est désormais démontré statistiquement que les équipes diversifiées et mixtes performent mieux. La plateforme ‘PE4Women’, développée au sein de la LPEA et cherchant à promouvoir l’accès des femmes à un secteur du private equity encore très masculin, constitue d’ailleurs un premier pas dans ce sens.
Un meilleur accès pour l’investisseur privé?
Un autre levier potentiel de croissance pour le private equity serait d’attirer plus d’investisseurs particuliers. Mais Rajaa Mekouar n’est pas forcément pour un accès totalement libre des particuliers à ce type d’investissement. «Au départ, le private equity était un marché de niche, réservé à des acteurs institutionnels. Ce n’est pas un hasard: en fonction de l’équipe ou du fonds sélectionné, les performances varient du simple au triple, la variance entre les meilleurs et les moins bons gestionnaires étant beaucoup plus large que pour les fonds cotés. Il faut donc de réelles compétences de sélection dans un marché fragmenté comptant plus de 8.000 fonds. Ce type d’investissement nécessite aussi une surface financière minimale de plusieurs millions d’euros pour être justifié.» Aux États-Unis, les choses sont toutefois en train de changer avec une ouverture du private equity aux particuliers sous l’impulsion du régulateur, la SEC. «Je ne pense toutefois pas que l’Europe suivra le mouvement à court ou moyen terme. À mon sens, le jeu n’en vaut pas forcément la chandelle. De plus, les particuliers investissent déjà indirectement dans le private equity, puisque les fonds de pension restent les plus gros investisseurs du secteur», relève Rajaa Mekouar.
La LPEA a certainement son rôle à jouer dans la poursuite de la croissance du private equity au Luxembourg. À l’avenir, ce sera toutefois sans Rajaa Mekouar, qui se consacre désormais pleinement à son rôle d’investisseur pour le compte d’entrepreneurs luxembourgeois, rôle qu’elle exerçait déjà à mi-temps depuis mars 2019. Après quatre années passées au sein de la LPEA en tant que Board Member (2016), Présidente (2018), puis CEO (2019), le bilan est plus que positif. «Je retiens de mon mandat la transformation réussie de l’association, passée d’une start-up entrepreneuriale à une institution plus structurée et professionnelle, qui regroupe aujourd’hui près de 300 membres issus d’horizons très larges», explique-t-elle. «Ce succès est celui de toute une équipe, que nous avons considérablement renforcée au fil des années. C’est ce dont je suis la plus fière: le fait que Kheira, Stéphane, Luis, Natalia, Michaela et maintenant Evi n’aient plus besoin de moi pour poursuivre le travail de promotion du Luxembourg comme hub, et l’effort de démystification du private equity.»